Niokokro, le 22 août 1994

Cher toi

Vite une petite lettre avant de te retrouver. Revoir Paris ! Je m’y sens bien, je me rappelle le grand appartement de ma grand-mère, rue Monsieur le Prince : je me réveillais très tôt et j’errais comme une âme en peine en attendant que les adultes se réveillent. Je regardais ma tante dormir, je la réveillais et je lui disais : tu es malade ? Elle secouait la tête et se rendormait. Je n’ai jamais senti une telle impression de sommeil que dans cet appartement… Le chat et moi, on attendait patiemment et je lisais. Dès que j’ai su lire, je lisais tout et n’importe quoi. Comme on faisait Brest Marrakech en voiture, je lisais tous les panneaux à haute voix, cela avait le chic d’irriter toute la famille qui me suppliait de me taire.

J’aime beaucoup ton appartement, il est magnifique et l’on a une très belle vue sur la Seine. C’est un appartement de famille, vous avez su le garder. Chez moi, on perd tout, comme ces grands bourgeois qui sont incapables de garder ce qu’ils ont. Quand j’étais petite, j’appelais notre balade « le tour des propriétés disparues » et il y en avait, il y avait même un château, un vrai, celui de Vacoeuil. Cela apprend à ne pas s’attacher aux biens de ce monde ! Juste un carton, quelques tableaux, des lithos et quelques livres précieux. Et hop, en route pour de nouvelles aventures !

C’est pour cela que j’adore vivre à l’hôtel, quand tu y as été toute ton enfance, tu y prends goût. J’adore découvrir une nouvelle chambre, une nouvelle vue, une nouvelle ambiance. Bien loin de faire du franc CFA, nous dépensions allègrement le salaire du mois, quitte à manger des pâtes en attendant que l’argent revienne…

J’ai pris un bon bain ce matin, le ciel était lourd, gorgé de pluie qui est tombée alors que je nageais. Les paysans doivent être contents, il y a de l’eau cette année !

Je t’écris de l’avion, on vient de décoller. J’adore ça, le décollage avec la petite pointe d’anxiété qui ma rappelle combien j’avais peur, enfant. A Dakar, les amis venaient nous voir avant notre départ et ils racontaient tous leurs souvenirs d ‘accidents d’avion.

Le lendemain, en montant la passerelle, je me sentais comme un condamné à mort avec un fusil dans le dos. Quand l’hôtesse refermait la porte, je ne respirais plus jusqu’à l’atterrissage où je revoyais avec un infini bonheur la lumière du jour. Je descendais l’escalier et je me laissais happer par la chaleur. Comme je déteste avoir trop chaud, j’enlevais mes chaussettes et je rangeais mon pull dans ma petite valise, à côté de l’argenterie familiale que je transportais. J’avais comme consigne de ne surtout pas montrer combien ma valise était lourde… Parce que dans ma famille,’on perd toutes les propriétés mais on garde précieusement l’argenterie. Chacun ses priorités ! Comme disait ma grand-mère, quand ce n’est pas de l’argent, cela a un goût…

Nous allons atterrir, il fait gris sur Paris mais je te revois bientôt et qu’importe le temps !

Juste ce petit poème, Georgia de Philippe Soupault

Je ne dors pas Georgia

Je lance des flèches dans la nuit Georgia

J’attends Georgia

Je pense Georgia

Le feu est comme la neige Georgia

A tout de suite, Didier. Ta Nadine

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