Niokokro, le 19 août 1994

Cher toi

Tu n’es pas content, mes dernières lettres te bouleversent. Tu es jaloux ! Tu as bien raison de l’être, c’était un peu une pique que je te lançais. Tu n’as pas saisi mon humour, tu me dis qu’on ne plaisante pas sur ces choses là. Ok, je m’incline.

Mon courrier a rouvert une blessure ancienne, celle de ton incapacité à bouger. Tu es bien à Paris, dans ton appartement d’enfance et tu te plais dans ce décor que tu as toujours connu. C’est ton droit le plus strict. Je ne sais pas ce qui nous lie, nous sommes si différents ! Moi je cours le monde, j’adore la vie et toi tu es plus pessimiste, tu te replies sur toi-même et tu n’aimes rien tant que de te tapir au fond de ta bibliothèque avec tes chers livres. Mystère de l’amour… Car je t’aime, Didier, j’aime ta main sur ma joue quand tu oses me manifester un peu de tendresse, toi si pudique sur tes sentiments. Tu l’es moins pour ton corps que tu dénudes volontiers, passant de longues heures dans ton grand appartement sans vis à vis. Je vais venir bientôt si tu ne viens pas. J’ai une proposition de l’Office du Tourisme de la Namibie pour réaliser un reportage sur leurs lodges. Tu sais, ce petit pays du sud de l’Afrique qui abrite un grand désert, le Kalahari. J’adore cet endroit, avec une discipline encore prussienne et ses églises peintes de couleurs chatoyantes. Je passerai donc par Paris pour m’y rendre. Quand ? Bientôt ! Ils sont pressés et moi aussi. Cela me fera du bien moi qui n’adore qu’une chose : bouger !

Lors de mon séjour à Paris, nous pourrons partir en week-end à Deauville, dans ce palace désuet que tu m’as fait découvrir. Peignoirs blancs pour le petit déjeuner sur le balcon dominant la campagne normande : cela me fera du bien de revoir l’herbe verte sur cette terre si grasse après la sécheresse du Mambo.

2 heures du matin

Dominique est arrivée, en pleine forme. Elle aime beaucoup mes transformations dans l’hôtel, elle s’y sent chez elle et je suis heureuse de l’accueillir. Tout va bien avec Tom, ils programment un prochain voyage en Ecosse pour qu’il puisse lui faire découvrir son univers.

Je vais bientôt te retrouver et cela m’enchante ! Mon association marche bien mais je dois faire attention de ne pas me laisser déborder par les artistes reconnus. Mon ambition est toujours de faire voyager ces artisans qui ne voient jamais autre chose que leur cabane de guingois, j’aimerais les accompagner alors qu’ils découvrent les merveilles du Louvre ! L’utilité de tout cela ? Manifeste ! Ils sont accusés de toujours faire la même chose, de ne pas se renouveler. Se frotter à d’autres œuvres devraient leur ouvrir de nouvelles perspectives, de nouvelles approches. Et je crois que je vais les accompagner. L’hôtel marche bien et ma sœur Dominique m’est précieuse. Elle a envie de rester m’aider et comme elle est actuellement au chômage, cela lui rend service. Tout s’arrange, comme tu vois. Je te quitte, il faut que je sois en forme demain matin pour aller déjeuner au village des tisserands. Mon appareil photo est prêt, un beau reportage en perspective. J’ai hâte de m’évader de Niokokro et de me frotter à la brousse…

De Blaise Cendrars, prose du Transssibérien et de la petite Jehanne de France

Blaise, dis, sommes nous bien loin de Montmartre ?

Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours

Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t’a nourrie

du Sacré-Coeur contre lequel tu t’es blottie

Paris a disparu et son énorme flambée

Il n’y a plus que les cendres continues

La pluie qui tombe

Bonne nuit, Didier. Ta Nadine

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