Niokokro, le 21 août 1994

Cher toi,

L’un des fils d’Abdou est mort ! Addou, la mine défaite, vient de me l’apprendre. Isolée dans mon hôtel, avec des gens riches, j’oublie combien la vie des africains est dure. Il y a encore une très forte mortalité infantile, c’est le deuxième enfant que perd Abdou. Il me demande une journée de congé pour l’enterrement au village, je lui ai accordé le temps qu’il lui faudra. Je remets mon départ pour Paris à plus tard, sans mon fidèle Abdou, l’hôtel a besoin de moi.

C’est étrange cependant combien la mort d’un enfant, qui, en Occident, est une tragédie, ici, c’est vécu comme quelque chose de presque naturel. Il y a encore beaucoup à faire en Afrique.

Autrement, la routine. Il pleut depuis ce matin, une pluie épaisse et lourde, une vraie pluie d’hivernage. Cela me rappelle « L’Amant » de Marguerite Duras. J’aime ce film qui me rappelle combien je t’aime. Tu viens avec moi en Namibie ? Nous pourrions nous aimer au milieu du désert, dans un lodge où une brise légère soulève un voilage de mousseline, alors que nous dégustons un cocktail… j’ai gardé de mon enfance aventureuse le goût de la fête, je suis passée voir la famille d’Absdou, c’était très calme, comme serein. L’enterrement est prévu pour demain, j’irai avec Abdou et sa femme, une belle métisse tout de blanc vêtue, qui m’a remerciée d’être venue avec infiniment de douceur. Il y aura une cérémonie et puis Abdou insiste pour revenir à l’hôtel. Il a tant de choses à faire, m’a-t-il dit. Je le laisse faire, c’est sa vie.

2 heures du matin

Tu me dis que tu aimes mes lettres, j’en suis flattée. Tu me dis que je te donne envie de venir, je l’espère bien ! Tu reviens avec moi ? Tu es proche de la retraite et tu ne sais que faire. Tu me dis qu’en venant à Niokokro, tu aurais l’impression d’être le prince consort… Mais non, Didier, tu serais le roi et je te serais toute dévouée. Je sens bien que tu hésites, que l’Afrique te tente… Imagine notre chambre qui donne sur une terrasse peinte en rouge que le boy jardinier vient d’arroser, l’humidité odorante nous monte aux narines tandis que nous nous aimons…

Tu as eu une belle carrière et tu pourrais t’asseoir à l’ombre avec ton ordinateur et écrire tes mémoires. J’aime ce que tu me racontes et j’aimerais que d’autres en profitent…

Voilà, c’est décidé ! Tu loues ton appartement parisien et tu viens à Niokokro !

Mais je vais un peu vite en besogne, les choses ne sont pas si simples, tu me le rappelles à chaque fois. Paris, Paris que tu aimes, qu’en feras-tu ? Plus d’expositions, plus de vie mondaine, juste un hôtel perdu en Afrique ! Comment vivre ?

Décidément, nous sommes très différents et c’est ce qui donne de l’épaisseur à notre relation… Car je t’aime, Didier, j’aime la souplesse de ton corps délié, corps que tu entretiens farouchement. Tu pourrais faire tes longueurs dans la piscine de l’hôtel et venir partager mon petit déjeuner… Je te tente ? Je l’espère bien !

J’arrive à Paris le 22 août par le vol du soir. Tu verras, je suis toute bronzée et j’ai maigri ! J’ai hâte de te voir, Didier et de me blottir dans tes bras…

La tendresse à son tour rejette sa tunique

Et le désir brutal apparaît, magnifique,

Dans sa vérité crue qui laboure et qui mord.

Pierrette Sartin

Bonne nuit, Didier et à bientôt ! Ta Nadine

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