Paris

J’aime Paris. Mon Paris, celui du sixième arrondissement. Pas moins ! Quand j’étais petite, il y avait des pauvres qui habitaient ce quartier. La rue Monsieur Le Prince. Au 58. 01 43 26 48 92. Le plus ancien numéro de téléphone dont je me souvienne. C’était le Danton 48 92. On est passé par tous les changements pour arriver au numéro actuel. Qui a disparu. C’était le seul lieu qui n’avait pas bougé depuis mon enfance. C’était l’appartement de ma grand-mère, Mané. Un grand appartement, truffé de meubles anciens, de faïences et de tableaux. Mon domaine.

Je suis née à Paris, dans le onzième, à la clinique des métallurgistes, le haut lieu de l’intelligentsia de l’époque. On y pratiquait déjà l’accouchement sans douleur. J’ai vécu mes premières années rue Monsieur le Prince. C’était ainsi qu’on appelait l’appartement. Comme si la rue nous appartenait…

C’était très grand, un univers quand j’étais petite. Je me réveillais tôt et j’attendais des heures que ma grand-mère et ma tante se lèvent. Je demandais à Marie, ma tante : tu es malade ? Cette dernière prenait plaisir à me promener, il paraît que mon landau était un vrai chantier ! J’adorais qu’elle me promène sur les pavés des quais… Déjà l’appel de l’eau… Au premier étage de l’immeuble d’en face, il y avait des femmes qui cousaient. Elles m’intriguaient ; que faisait-elle ? J’ai appris très tard qu’elles fabriquaient des linceuls, couleurs fades, jaune, mauve ou rose… Quelle drôle de vie ! De la salle à manger, on voyait les fenêtres de l’hôtel d’à côté où les locataires louaient au mois. Je m’amusais à voir les bouteilles de lait, les provisions sur les petits balcons.

La rue était très animée, il y avait beaucoup de commerces, une boulangerie, une boucherie, un cinéma, une droguerie, une pharmacie. Il y avait aussi un restaurant pour les étudiants et je prenais plaisir à les voir faire la queue pour aller déjeuner. J’observais leurs vêtements, je me disais moi aussi je serai comme ça quand je serai plus grande. J’imaginais ma vie d’adulte. Que de souvenirs à Paris. J’y ai vécu un an et demi quand j’étais petite, j’allais à l’école rue Victor Cousin. J’aimais bien mon école, au cours préparatoire, nous étions 55 et tous savaient lire à Noël ! Madame Le Fée, c ‘était loin d’être une fée, pourquoi avait-elle ce nom ? Menait sa classe à la baguette. Le mercredi, on changeait les titres du cinéma d’en face et j’attendais avec impatience le nom qui sortirait : Les O … Les Oi… Les Oiseaux… drôle de titre pour un film… Al… Alfred … quel drôle de prénom… Hitchkock … quel drôle de nom ! En sortant, je regardais les affiches et les photos du film… Cela n’avait pas l’air gai. C’est peut-être ce voisinage qui m’a fait aimer le cinéma et son décorum. Dans la classe, nous avions une magnifique photo de la cathédrale de Chartres qui apparaît au dessus des champs de blé. Plus tard, en passant par Chartres j’ai retrouvé cette vue.

Pendant notre séjour à Paris, nous n’allions pas au cinéma mais au concert. C’était très dur pour moi de rester immobile pendant tout ce temps et je faisais provision de tickets d’autobus pour les déchirer silencieusement pendant le concert. Nous allions aux répétitions d’un quatuor dans une salle éclairée par une seule ampoule qui pendait, nue, au dessus du chef d’orchestre. Parfois, emporté par son élan, il cognait sur l’ampoule… C’était très amusant ! Après cette initiation à la musique classique, je n’ai plus voulu en entendre pendant des années. Aujourd’hui, j’en écoute toute la journée… Ma grand-mère jouait du piano, elle n’avait pas été à l’école pour devenir concertiste et elle en voulait à mort à sa mère de l’avoir privée du contact avec les autres petites filles. Ma tante chantait et c’était si beau, sa voix dans ce grand appartement !

Avant, il y avait mon grand-père, il était si gentil avec nous… Et puis un jour, en rentrant du Maroc, il avait disparu ! On m’a dit qu’il était couché sous la terre au cimetière des Authieux, je tournais autour du cimetière en me demandant pourquoi on l’avait mis là. C’est peut-être cette question sans réponse qui m’a fait me réveiller, des années durant, en me voyant mourir. La mort nous était présentée comme ça, comme nous étions une famille athée depuis le dix-huitième, on mourait et puis voilà. Pas d’histoire, pas d’espoir. C’est dur pour un enfant, la vision athée. J’avais comme projet, avec une de mes sœurs, d’écrire un catéchisme athée pour raconter le monde aux enfants. C’est resté à l’état de projet…

«  Voici le fils de l’homme et du grand Dieu le fils, Le voici arrivé en son terme préfix. »

Agrippa d’Aubigné

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