Niokokro, le 3 août 1994

Cher toi,

L’ambassadeur m’a pris rendez-vous avec le ministre de la Culture ! Séduit par mon idée, il veut aller vite. La force en moi. Nous sommes d’accord, Dominique et moi, notre enfance nous a donné la force. La force de l’Afrique. Cette force des africains qui leur donne la pêche, je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire. Tu comprendras quand tu viendras. La force des couleurs, de la végétation, des gens. Une joie de vivre qui inonde tout, fait tout pousser. Avec Dominique, nous la ressentons au plus profond de nous. Cette force qui nous fait à chaque fois repartir et dire, ce n’est rien, passons. En Bretagne, quand nous sommes arrivés en 1975, nous avons été surpris par la faiblesse des jeunes, leur manque de confiance en eux. Non, ce qui m’a le plus frappée, c’est ce dégoût de son corps, ces gens qui s’habillent mal, qui mangent mal, boivent trop en un mot ne se respectent pas et se laissent aller, le corps flasque, le cheveu mou, le regard torve. Une haine de soi visible à l’oeil nu. Déculturation, alors que les bretons en costume sont si beaux. Fiers d’eux, dans leurs habits si bien colorés. Le colonialisme, c’est cela. Substituer une culture à une autre, oublier ses racines, ses valeurs, sa langue. C’est incroyable comme en une génération, tout a disparu. Plus de coiffes, plus de breton, sauf le breton « chimique » parlé avec l’accent français, dénaturé. C’est mieux que rien mais cela fait peine à voir. Je me rappelle, petite, ces femmes très dignes, toute en noir, avec leur fond de coiffe. Cela avait de la gueule. Tandis que ces femmes en pantalon ou blouse informe, quelle décadence ! Pourtant il y a une force en Bretagne, la force d’une culture qui ne veut pas mourir. Une force que j’admire, la force de la musique, du théâtre, cette attention accordée à la culture, cette culture qui évolue, qui s’adapte et reparaît à chaque fois, toujours plus forte. Je me souviens, dans un spectacle, se trouvaient réunis les berbères et les binious bretons, quelle harmonie, quelle force !

Tu as aimé ma Bretagne, tu t’y es adapté. Tu as aimé le côté bon enfant du breton qui ne se pousse pas du col et est respectueux de son prochain. Tu as aimé Bréhat où nous avons l’ambition d’ acheter une petite maison, si mon hôtel marche bien. Je suis contente, à peine rouvert, l’hôtel est complet. Le Mambo est en pleine expansion et je crois que j’ai bien fait de choisir ce pays. J’aime accompagner le dynamisme d’un pays, y apporter me pierre.

Les préparatifs de la fête s’organisent, j’ai une couturière qui m’a proposé de faire un défilé de mode, je suis en passe d’organiser la fête de l’été !

Dominique va bien et son idylle avec Tom suit son cours. Elle en parle peu, elle m’a juste dit que ce serait une simple amourette, sans lendemain. Mais cela lui fait du bien d’oublier tous ses mauvais souvenirs ! Elle retrouve avec joie l’Afrique de sa jeunesse. Mustapha, l’ambassadeur, a repris ses habitudes et vient tous les soirs prendre l’apéritif. Il me parle de son travail, en ce moment, il est assez tracassé par des trafics d’esclaves aux frontières. Car, comme il y a toujours des rois, il y a toujours des esclaves, des noirs pris en otages par des arabes qui les envoient dans les pays du Golfe. Ces gens n’ont aucun droit et sont vendus à prix très bas. L’ambassadeur lutte contre ce trafic mais ses moyens sont limités. Il est inquiet et soucieux, car ce sont des tribus itinérantes qui font des razzias dans les villages. Que faire ? Il va lui falloir, il le pense, faire appel à l’armée algérienne et celle du Mambo. Mais ces trafiquants sont respectés par les pouvoirs car ils sont très riches. Mustapha se sent pris dans une nasse dont il ne sait comment s’échapper. Il attend la fin de la saison des pluies pour, peut-être, agir. Cela le rend soucieux et ces apéritifs lui font du bien, d’autant plus qu’il est seul, Djamila, son épouse, est partie en Algérie pour les vacances.

De Kiyobara no Fukayabu :

Epris de toi

Mon cœur n’est pas

une oie sauvage, mais

Comme elle, qui crie en traversant les nuages,

Je pleure, l’esprit perdu dans le vague.

Je t’embrasse, Didier, ta Nadine.

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