Iba, le 9 août 1994

Cher toi ;

Enfin je peux t’écrire ! Cela fait trois jours sans te parler, cela faisait long. Comment se passe mon voyage, me demandes-tu ? Bien et mal. Tout s’organise bien, Tom est un bon compagnon et Dominique est très agréable à vivre. Non, c’est moi qui ne va pas. Je me sens extraordinairement mal à l’aise dans la brousse. Je retrouve le même sentiment que dans mon enfance, lorsque nous allions dans les villages. Tout le monde te regarde, tu ne peux pas te cacher, tu es blanc et tu fais tache. Forcément. Quand j’étais petite, j’étais très timide et je n’en pouvais plus, d’attirer l’attention comme cela. Je rêvais de la France où tu es comme tout le monde, tu peux te fondre dans la masse. Incognito. Là, c’est exclu. Les enfants te poursuivent, te demandent de l’argent, des stylos, des chewing gums. Les femmes se cachent et les hommes hésitent à se montrer. Je n’aime pas ça et je souffre. Ce soir, je me demande ce que je fais en Afrique, j’ai l’impression de faire du néo-colonialisme, de ne pas être à ma place. C’est un sentiment qui me poursuit, alors que je viens d’acheter un hôtel. Que faire ? Que me conseilles-tu ? Mon problème, c’est la continuité. Au début, c’est tout feu tout flamme et puis tout à coup j’en ai assez, il faut gérer le quotidien et cela m’ennuie. Je suis alors prête à sauter sur la première idée venue pour repartir. L’hôtel démarre, mon association aussi, mon travail de journaliste s’organise. Mais tout cela n’est-il pas vain, au regard de l’incroyable différence de niveau de vie entre les paysans africains et moi ? N’y a-t-il pas une complicité de fait ? Qu’en penses-tu ?

2 heures du matin

Cela fait du bien de retrouver la mer après tant de mois loin d’elle. Je ressens au fond de moi cette impression de puissance de la barre qui, inlassable, vient frapper le rivage. Nous avons trouvé un petit hôtel sous les cocotiers ; au moment où je t’écris, les arbres bruissent dans le vent, l’air est rendu poisseux par le sel. Les hôteliers sont très sympas ; ce sont des gens de Bordeaux qui sont là depuis trente ans. Ils m’ont donné de très bons conseils pour l’Okambo. Ils rentrent l’année prochaine en France, ils sont contents d’arrêter, ils trouvent que les conditions ont changé et la clientèle aussi.

Tu me manques, je suis un peu triste ce soir, un peu désemparée. Que faire ? Il faut que je continue. Je n’ose pas évoquer mes états d’âme devant les amoureux qui semblent si bien ensemble. J’attends avec impatience ta réponse, de rentrer à Niokokro m’occuper de mes affaires. C’est drôle, c’est quand tout réussi que j’ai envie de passer à autre chose. Rien n’échoue comme le succès, écrit Shekelton. Je suis d’accord avec lui, là, telle que tu me vois, j’ai envie de donner un grand coup de pied dans la fourmilière et de tout envoyer valser…

Heureusement, ce soir j’ai reçu un petit message d’Irène Martin Duchaussoy qui nous attend demain en fin d’après midi. Nous allons dormir à nouveau dans la case de passage qui est très agréable. On doit se déchausser pour entrer, il y a de grandes nattes sur le sable et tout est en paille. Les villageois nous apportent des plats traditionnels dans des assiettes en bois, il faut que je revienne faire un reportage

Je ne suis pas douée pour le tourisme. Je n’aime pas cette position de voyeur. J’aime participer, avoir une mission qui me permette d’entrer en contact avec les gens du cru. Et , de par mes activités à Niokokro, je fais avancer les choses, je ne fais pas que profiter, je participe à la vie de la ville.

Allons, courage, passe une bonne nuit !

Rêvé pour l’hiver de Arthur Rimbaud

L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose

Avec des coussins bleus.

Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose

Dans chaque coin moelleux.

Je t’embrasse, Didier, ta Nadine

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