Iba, le 12 août 1994

Cher toi,

Nous sommes restés trois jours à Iba, au bord de la mer. Je me suis reposée, j’étais crevée ! Me poursuis cependant cette phrase : Pierre qui roule n’amasse pas mousse . Ce dicton populaire illustre bien ce que je veux faire. Amasser de la mousse, cesser de rouler. J’ai gardé de mon enfance aventureuse l’habitude de changer d’endroit. Un problème ? Hop, je déménage ! Je viens d’ouvrir cet hôtel, il me correspond, je suis bien secondée. J’ai beaucoup de projets mais il ne faut pas que je me disperse. On en a parlé avec Dominique et Tom, ils m’ont exhortés à la patience. Ils sont très admiratifs de ce que j’ai réussi à faire et ne comprennent pas mes états d’âme. Je redoute : l’ennui. Il faut que ça bouge. Toi qui as mené une belle carrière au ministère de l’Intérieur, tu as du mal à suivre mon impatience. Tu n’es pas loin de la retraite : viendras-tu à Niokokro ? Je t’imagine bien dans mon hôtel, en maître de maison. Tu y poursuivras des amitiés profondes et essentielles, il y a de belles personnes en Afrique. Ceux qui s’y sont installés ont en général beaucoup de personnalité. Des gens à l’étroit en Europe, ensevelie sous ses règlements et ses contraintes, vieux pays sans grand avenir. Ici tout est à faire, la moindre initiative est accueillie favorablement et les projets fleurissent. Le mien emporte l’adhésion. Je le sais, je le sens. Avancer, monter le projet, ne pas me laisser déborder. J’ai maintenant hâte d’être rentrée. Nous partons demain matin pour Niokokro avec une escale chez Irène Martin Duchaussoy. Cette femme richissime par sa famille entend consacrer une partie de sa fortune à aider l’Afrique et mon projet l’intéresse. Elle veut s’y consacrer et user de son nom pour ouvrir une voie. Royale. Nous allons monter un premier voyage, le grand problème reste le départ et l’arrivée des artistes et artisans, avoir des visas. Déjà, l’ambassadeur de France m’a dit qu’il ne verrait pas d’un bon œil tous ces africains profiter de ce voyage pour s’installer en France. Comme si tout le monde voulait s’exiler ! Mais il a attiré mon attention sur cet aspect des choses, il faudra être attentif au choix des artistes. De toutes façons, il n’y a pas que la France, même si le pays attire naturellement, ne serait-ce que par la langue. Les artistes peuvent se comprendre au delà de la langue, ils communiquent à leur façon.

Nous avons dîné dehors, sous les cocotiers, sur fond de bruit de mer. Il faisait lourd mais il n’a pas plu. Les bougies jouaient sur les visages pendant que nous buvions un petit punch coco en mangeant des chips de banane plantain. Les hôteliers, les Labat, sont vraiment très gentils. Ils nous ont raconté être arrivés avec trois sous en poche, lui travaillait comme forestier. Ils ont émigré après la guerre alors que tout était par terre. Ils ont eu la possibilité de reprendre cet hôtel et ils ont foncé. Ils ont servi de base arrière aux forestiers qui venaient faire la fête à Iba. Cela a bien marché et ils ont pu se faire construire une petite maison près de Libourne où ils partent en retraite. Regretter l’Afrique ? Sûrement ! Mais ils ont envie de se reposer. Tenir un hôtel en Afrique n’est pas de tout repos, même si c’est plus facile de trouver du personnel, de le former et de le fidéliser. Un des boys vient avec eux, il a envie de voir l’Europe. Je rêve à moi dans dix ans, quand, pas fortune évidemment mais ayant amassé un petit pécule, je vends l’hôtel et nous achetons une maison à Bréhat, à moins qu’on y monte un bar-restaurant ! Je te vois déjà derrière le comptoir, heureux et détendu. Tu me fais confiance pour l’avenir, ta souplesse me plaît. Ce que j’aime bien, c’est que ça ne te dérange pas que j’apporte les idées, tu n’es pas macho et cela ne te dérange pas que je sois, parfois, la maîtresse ! C’est un beau mot, maîtresse. Donc je suis et je resterai ta maîtresse, pas de papiers entre nous seulement une confiance mutuelle.

De Marie Dauguet

Je me rassasie de ton odeur sauvage ;

Tu sens les bois et les marécages

Tu es beau comme le loup

Tu jaillis comme un hêtre

Dont l’énergie gonfle l’écorce.

Je te souhaite une bonne nuit, Didier. Ta Nadine

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