Niokokro, le 11 mai 1994

Cher toi,

Ce matin, l’ambassadeur m’a dit : Venez et ne posez pas de question ! Il m’a embarquée dans la Range Rover de l’ambassade et nous sommes partis. Il a pris la route du sud, vers Iba. C’était un jour comme un autre, bien que tout me semblait différent : Je voyais une soudaine menace dans cet attroupement de jeunes à mobylette, ces femmes qui ne se rangeaient pas assez vite, ces hommes en grand boubou qui nous dévisageaient. Niokokro, mon cher Niokokro, avait-il changé à ce point ? Mustapha conduisait vite, les mâchoires serrées, l’oeil fixé sur la route. Nous sommes sortis de la ville et je me suis laissée aller au charme de ces routes de latérite bordées de rares acacias. L’Afrique, l’Afrique de toujours.

La chaleur montait, l’ambassadeur a ouvert toutes les fenêtres, me disant juste : j’ouvre, je ne supporte pas la climatisation. Nous avons traversé des villages aux toits coniques, aux cases pauvres, j’ai eu soif, je lui ai demandé à boire, il m’a tendu une bouteille d’eau sans dire un mot.

Où allions-nous ?

2 heures du matin

Je ne sais pas où nous sommes allés et pourquoi je devais venir avec lui. Nous nous sommes arrêtés dans un gros bourg, il m’a dit de descendre, il m’a conduite sur une place et nous avons attendu. Un homme en boubou avec un petit bonnet sur la tête est arrivé et, sans un mot, nous a fait signe de le suivre. Dans le village, il n’y avait personne. Pas une femme curieuse, pas un enfant avide de friandise. C’était fantomatique. Il faisait très chaud et je me sentais mal de ne pas comprendre. Nous sommes entrés dans une grande case où nous attendait un homme âgé. Nous l’avons salué, il nous a salué en arabe. L’ambassadeur a répondu en me désignant. Puis s’est ensuivie une conversation animée, toujours en arabe. Cela durait, durait, ils n’avaient pas l’air de s’entendre et puis tout à coup, un éclair, une phrase sans doute, un mot et l’homme s’est levé, nous a serré la main et nous sommes repartis.

Dans la voiture, Mustapha m’a dit : le moins vous en savez, le mieux vous vous portez. Mais il avait l’air soulagé à tel point qu’il m’a proposé de nous arrêter dans un relais sur le bord de la route, des tables, un bougainvillé en fleurs, une bière. Mustapha restait silencieux, puis il a dit : c’est bien, rentrons ! Nous sommes arrivés à l’hôtel où le designer avait commencé à tout arranger. J’ai retrouvé avec plaisir Marc Lafon qui m’a détendue en me racontant sa journée au ministère du Tourisme. Un occidental avec qui parler ! Nous avons un peu bu, cela m’a détendue. Me laisser aller, un peu, dans toute cette histoire.

Notre sortie en Range Rover m’a rappelé notre voyage au nord de la Côte d’Ivoire. Ma sœur Dominique, mon frère Yves et moi avions été invités à nous joindre à la femme du directeur de mon père et son neveu. Ces journées à explorer les villages, les marchés, les paysans nous saluaient avant d’être recouverts par la poussière de la voiture. A l’hôtel, nous avons assisté à un spectacle de danses très belles, il faudra que j’y repense.

Tu m’exhortes de tout vendre et de rentrer, tu me dis qu’il n’y a pas d’avenir pour moi au Mambo, tu me rappelles que l’Afrique de Papa, c’est fini. Je ne suis pas d’accord, jamais ma vie a été aussi passionnante et libre, je côtoie beaucoup de gens intéressants et je vis des aventures extraordinaires comme ce mystérieux voyage avec Mustapha !

Amères banlieues

Des mages trop connus

Et les médées de carrefours

Font dire à leurs geais aveugles

Un crève-coeur pour vos débris. A. Pieyre de Mandiargues

Je t’embrasse de tout cœur, Didier. Ta Nadine

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