Niokokro, le 4 août 1994

Cher toi,

Je prends plaisir à notre rendez-vous quotidien. J’aime ce moment de calme où je te parle, où je te raconte ma journée. Il fait lourd ce soir mais je sens un petit air par ma fenêtre ouverte. Je me suis enduite de crème à la citronnelle pour éviter les moustiques. Je t’imagine dans notre chambre, allongé sur le grand lit à attendre que j’ai fini ma toilette du soir. Tu lis, tranquille, le journal satyrique du Mambo, tu t’amuses à deviner de qui ils parlent. Cela fait plusieurs jours que tu es là et tu t’es bien habitué à la vie de l’hôtel. Tu as sympathisé avec l’ambassadeur et vous partagez la même passion du jazz. Je rêve, mais ce rêve va se concrétiser…

J’ai eu rendez-vous avec le ministre de la Culture. Et bien devine, c’était le fiancé de l’avion ! Il est éblouissant, cet homme ! Il fait partie d’une ethnie royale, celle des peuls. Je ne pouvais détacher mes yeux de son profil… Il aime ce que je veux faire et il me donne carte blanche. Il va me mettre en rapport avec une famille française richissime, il ne m’a pas dit leur nom. Ils vont me contacter de sa part. J’ai hâte !

A l’hôtel, tout va bien. Dominique est très absorbée par les préparatifs de la fête, Abdou et elle travaillent bien. Je supervise de loin, je prends contact avec les invités. Ce sera une belle fête ! J’aurais aimé que tu sois là. Il y aura une autre belle fête quand tu viendras !

2 heures du matin

Je me suis réveillée en sursaut, un mauvais rêve. J’étais à l’hôtel et des brigands nous attaquaient. Je fuyais mais ils me rattrapaient avec leurs mitrailleuses. Mais ce n’est qu’un cauchemar… L’attaque est loin dans mes souvenirs. Ce soir, j’ai fait un far, il était très bon et cela m’a rappelé mon enfance, l’été, en Bretagne. Ma grand-mère préparait la pâte et nous portions le plat chez le boulanger. C’était souvent le soir et la nuit tombait sur le port. L’odeur du pain frais se mêlait à celle du goémon, tout était calme. L’épicerie, à côté, faisait bistrot et l’on voyait sortir des vieux hommes saouls. Ils me terrifiaient, j’ai toujours détesté les excès et celui-ci me paraissait le pire de tous. Nous n’étions pas habitués, à Dakar, en grande partie ville musulmane, il y avait peu de poivrots et c’étaient des catholiques… Je me disais que ce n’était pas une réclame pour la religion !

Cet après-midi,nous sommes allées, Dominique et moi, voir les crocodiles sacrés. L’ambassadeur nous avait envoyé sa voiture et son chauffeur. Un homme était là, près des crocodiles qui semblaient assoupis, on aurait dit des troncs d’arbres ; contre une petite somme d’argent, l’homme a attaché un poulet vivant à une corde, il a pris le poulet au bout de sa corde et il l’a lancé au crocodile. C’était incroyable la rapidité avec laquelle le crocodile a attrapé le poulet pour aussitôt revenir à son immobilité première. Spectacle un peu pénible, les cris du poulet devant le crocodile… Cela me rappelle le petit musée de Gorée, île en face de Dakar, où il y avait, conservé dans du formol, quelque chose de flou. Il était inscrit au dessous : pied humain retrouvé dans le ventre d’un crocodile !

J’allais dans ce musée uniquement pour ça et j’imaginais le pauvre humain avec un seul pied …

Je t’embrasse, Didier, si tu viens, on ira peut-être à Dakar… Tu me manques ce soir, j’aimerais tellement que tu sois là, j’aime ta présence ; tu as vu, on a passé deux mois ensemble sans se disputer ! Bien au contraire, la cohabitation nous a rapprochés. La nuit est vaste, aucun bruit. Je profite de ce silence pour te retrouver… :

Demain, c’est la fête ! J’ai hâte d’y être !

De la marquise de Baye  dans Ame brûlante :

Nous nous taisions ; c’était l’heure troublante et chaude

Où le soleil frémit sous les rideaux croisés,

L’heure lourde où l’amour, dans l’air assoupi, rôde

Une rose effeuillait ses parfums apaisés.

Je t’embrasse doucement, tendrement, Didier. Ta Nadine

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