Niokokro, le 8 mai 1994

Cher toi,

Devine, Didier, c’était lui ! Il est revenu boire une bière, j’étais là et il m’a reconnue ! Je me sentais un peu bête, intimidée mais il m’a tout de suite tellement mise à l’aise que je lui ai raconté mon amour malheureux, on a bien rit. Il est là pour une formation en promotion du tourisme, il reste une quinzaine de jours, on aura le temps de se revoir. Il n’a pas trop changé, il a forci, c’est un très bel homme. Si je n’étais pas prise, j’en ferais bien mon jeudi et je crois que lui, cette fois-ci, ne dirait pas non. Il m’a avoué ne pas avoir cédé parce que j’étais mariée et qu’il s’était juré, après une aventure malheureuse, de ne pas sortir avec une femme mariée. Autrement, il n’aurait pas dit non. Comme il devait aller voir un hôtel à une centaine de kilomètres de Niokokro, à Bokokro, il m’a proposé de l’accompagner. J’ai adoré ce petit hôtel de brousse tapi sous les arbres, tenu par une française de Bordeaux depuis trente ans. Cela ne paie pas de mine mais on a bien déjeuné, un poulet bicyclette à l’arachide, le tout arrosé d’un petit vin marocain qui m’a un peu tourné la tête, j’étais un peu saoule… Avec tact, la patronne m’a proposé de faire la sieste et j’ai pu m’endormir _ seule_ dans une petite chambre à l’aération naturelle. Le lit est en ciment, tout est ainsi, façonné dans le mur. On est revenu en faisant un crochet par le village des tisserands et j’ai discuté avec l’un d’entre eux pour me fournir des coussins . Nous avons été reçus par le chef du village qui nous a offert le thé. Sa petite fille cherchait du travail et comme j’ai besoin d’une serveuse, je l’ai engagée et ramenée avec moi. Tu vois, je m’active et je rentre bien dans mon personnage de patronne d’un hôtel africain !

2 heures du matin

C’est notre heure. Tu m’a demandé pourquoi je me suis mariée, moi si indépendante . Parce qu’il me l’a demandé ! J’ai dit oui. J’en avais assez des aventures sans lendemain, de ces rencontres superficielles qui me laissaient « glacée dans un lit de hasard », chantait Léo Ferré. Envie de voir autre chose, de tenter autre chose. Il me plaisait beaucoup, je me suis dit : chiche ! Nous nous sommes installés à Bordeaux et ce fut là l’erreur. C’était sa ville natale et il a vite retrouvé ses réflexes bourgeois. Moi, au début, je découvrais, tout était beau et j’aimais cette belle ville. J’ai levé le pied sur mon travail, n’acceptant que de petits reportages. Lui dirigeait un restaurant qui marchait bien. Il travaillait beaucoup et on se voyait peu. C’était bien comme ça. Puis la ville nous a éloignés. Il s’est mis à me reprocher de ne pas m’habiller comme une bordelaise, de ne pas être assez coquette et de ne pas dépenser assez d’argent. J’ai gardé de mon enfance africaine le goût du peu, de faire avec ce qu’on a. Le ménage allait mal, aussi j’ai repris mon travail ; on ne se voyait plus que pour s’engueuler. Je partais au loin, il restait accroché à son cher Bordeaux. Comme j’ai passé ma jeunesse en Afrique, je ne savais pas que la bourgeoisie provinciale est redoutable pour qui ne se plie pas à ses règles d’airain. Elle fut impitoyable avec moi et l’on se moquait de lui dont la femme n’était jamais là. Elle devait courir le guilledou et lui, l’idiot, le cocu, ne s’en apercevait pas ! Enfin, il y eut ce dernier voyage, je suis partie à Antigua faire un reportage sur les happy few français. Ce fut passionnant et j’ai adoré cette île aux 365 plages. Je m’endormais au bruit de l’eau dans un hôtel construit sur les rochers. C’est la patrie du nautisme de luxe. Dans un festival reggae au pied de la seule colline de l’île, j’ai rencontré un commandant de bord de la Lufthansa qui m’a regardée, je l’ai regardé et nous n’avons pu décrocher nos regards… Je suis partie avec lui, sur son yacht. J’ai envoyé un mail à mon mari en lui disant que je ne reviendrai pas. Pas de réponse. Tu sais tout ou presque : il n’a jamais voulu divorcer et je suis toujours mariée. Peut-être que plus tard on se retrouvera. Avec Hans, ce fut intense mais bref. Puis je suis rentrée à Paris où j’ai repris mon appartement et mon travail.

Rio de Janeiro de Blaise Cendrars

Tout le monde est sur le pont

Nous sommes au milieu des montagnes

Un phare s’éteint

Je t’embrasse très fort, Didier. Ta Nadine

1 Commentaire

  1. Bettinger

    Bonjour
    J’aime beaucoup ce que tu écris, je rêve tu m’apportes beaucoup de bon moment.
    Merci.

    Réponse

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