Niokokro, le 6 mai 1994

Cher toi,

Je viens de faire des photos de l’hôtel et de la rue, un vrai reportage que je vais t’envoyer pour te donnes envie de venir ! J’ai gardé de mon ancien métier l’amour des images. Ce matin, j’ai reçu un jeune designer du Mambo, j’adore sa créativité ! Il a bien compris mon attente, de garder cet esprit 70 en l’accentuant tout en faisant de l’Okambo une vitrine de l’artisanat africain. Il doit m’amener voir son atelier, j’ai hâte d’y être. Tu ne sais pas ( mais tu vas le savoir, sourirais-tu, c’est vrai j’ai un peu cette manie de dire tout le temps, tu sais. J’aime ta façon de me mettre gentiment en boite, tu me fais beaucoup de bien, tu sais !)Je disais donc que Françoise Morin est de Rouen ! Elle connaît Breteville où je passais une partie de mes vacances quand j’étais petite ! On devient les meilleures amies du monde, c’est drôle comme au début je ne l’ai pas aimée. Elle est d’accord pour m’aider pour la décoration de l’hôtel. Elle m’a parlé à mots couverts de l’objet de sa mission qui n’est peut-être pas aussi anodin qu’il y paraît… J’ai hâte de savoir… L’ambassadeur et Karim le libanais sont toujours aussi intéressants et j’adore notre apéritif du soir au bord de la piscine. Comme ils ne boivent pas d’alcool, je me suis mise au jus de goyave, que j’adore.

2 heures du matin : Je ne résiste pas au plaisir de te raconter mes étés à Breteville, dans cette grande maison près de Rouen. C’était extraordinaire, nous étions sept cousins, libres comme l’air. Nous partions à l’assaut de la campagne environnante, dans les champs de pommiers et de vaches. Nous n’avions qu’un seul impératif, être à l’heure pour le déjeuner, nous étions prévenus par une cloche, vers les une heure et demie. Tout le village savait qu’au château, comme ils appelaient la gentilhommière, on déjeunait très tard. Et puis je lisais, il y avait toute une collection de beaux Alexandre Dumas, je les prenais les uns après les autres pour aller me cacher dans le catalpa géant qui occupait une place de choix dans le parc. Odeurs de fougères et d’orties, odeurs acides de la campagne normande avec sa terre grasse gorgée de pluie. Plusieurs années de suite, nous nous étions mis dans l’idée de trouver la cachette où on avait dissimulé des armes au début de la guerre de 40. On a creusé, creusé, faisant un énorme trou dans le parc mais on n’a rien trouvé. Ce que j’aimais, c’est qu’on était libres comme l’air, la république des enfants. Nous fouillions avec entrain dans les greniers et nous nous déguisions en personnes du début du siècle. Nous avons cassé des landaus, des voitures à pédale, toutes choses que j’ai retrouvées plus tard chez des antiquaires !

Le soir, vers sept heures, nous avions chacun notre pot à lait pour aller à la ferme voisine chercher le lait. On assistait à la traite des vaches à la main et la fermière, une grande normande osseuse en blouse et bottes de caoutchouc, nous demandait si nous nous étions bien amusés. On lui racontait nos balades puis on repartait à la maison non sans boire le lait tout chaud !

Puis il y avait la cérémonie du bain  dans la salle de bain qui fut un boudoir avec ses lambris de bois sombre et ses violons accrochés au mur. La baignoire datait du début du siècle et l’eau était chauffée par une rampe de gaz comme sous une casserole. Inutile de te dire que quand l’eau était chaude, on s’asseyait avec précaution pour ne pas se brûler ! On marinait tranquille à plusieurs et on se chatouillait, on s’amusait à chanter, moi je chantais cette chanson si triste ; Sur le pont du Nord un bal y est donné . L’histoire de ces deux enfants noyés dans l’écroulement du pont parce qu’ils avaient désobéi sera à tout jamais liée à ces bains qui devenaient froids. On se séchait, frissonnant et bleus sur le caillebotis de bois, contact rêche des petites serviettes, le pyjama, la robe de chambre et puis la soupe, les haricots verts à la crème fraîche. Pour terminer le repas on avait de grandes jattes de lait caillé avec de la rhubarbe. Je dormais dans la rotonde du second, une grande pièce arrondie avec plein de fenêtres sans volets. La nuit, les branches d’arbres qui bougeaient me faisaient si peur ! Je lisais George Sand, la Petite Fadette et François le Champi, ces histoires d’enfants à la campagne Je m’endormais dans mon lit à rouleau, rêvant moi aussi d’aventures incongrues…

Je crois que tout cela m’a façonnée et je te le livre à toi qui n’aime pas parler de ton enfance. Je t’embrasse doucement, Didier, mon amoureux comme nous disions enfants. Ta Nadine

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Pin It on Pinterest

Share This