5 novembre 9h

Je me réveille, il fait gris, le monde est gris, pourquoi se lever ? Ma vie n’a plus d’intérêt, encore une journée vide, sans relief. A quoi bon vivre ?

Le monde a perdu son épaisseur, sa magie. Le monde est plat. Malgré la douleur, je regrette mes délires. Je vivais à 100 à l’heure, tout était possible, j’exécutais tout ce qui me passait par la tête.

Je devais partir en Algérie, en mission du souvenir avec d’autres femmes. Je ne voulais pas y aller, pas avant d’avoir tourné le film que je portais, sur les femmes et l’exil. Mon Algérie devait rester mythique.

Or les événements ont fait en sorte de me faire partir plus tôt. Partir. Je devais aller à Marseille prendre le bateau. Ma compagne m’a fait faux bond et je devais voyager seule.

La veille de ce que je croyais être mon départ, j’ai fait et refait ma valise, mon sac de voyage. J’étais poursuivie par cette obsession : si je devais ne jamais revenir, que devais-je prendre ? J’ai cherché, fait et défait mon sac, rangé et rerangé mes livres, mes souvenirs, mes vêtements. J’y ai passé la nuit. Au petit matin, j’étais prête. J’avais choisi de prendre mon sac Delsey, j’y avais mis une petite peinture de mon enfance, la femme sur l’âne que je garde du Maroc et du papier. J’avais une caméra, je devais filmer les femmes de retour dans leur pays, saisir leurs émotions, capter la larme, le ressentiment ou la joie.

Me voici à la gare. Je prends le train, j’étais folle de joie. Sortir de Bretagne, quitter cette région, m’en aller, loin, très loin. J’étais très excitée dans le train. Avant Rennes, où je devais prendre une correspondance, je fêtais le passage de la frontière, celle qui sépare la Bretagne de la France. Je préparais mon passeport pour matérialiser cette frontière.

J’arrive à Rennes. Je me prépare à monter dans le train de Marseille quand je suis arrêtée par le contrôleur qui me dit que mon billet n’est plus valable, que mon train est parti hier…

Je me revois dans cette gare, seule, désespérée. Que faire ? Le petit bistrot où j’ai échoué… Rentrer à Brest ? Pas question. Je décide de partir pour Paris. Pourquoi Paris ? Pour échapper à la mafia de Bolloré. Ils sont sur ma trace. J’ai peur. Je prend le train, j’arrive à Paris. Là commence une course-poursuite, ils me suivent, me précèdent, se déguisent en juifs, en arabes, en jeunes, en vieux. Il y en a même sur les toits, ils me repèrent partout. Je rentre dans un immeuble, je me cache. Je ressors. J’ai faim. Je déjeune dans un bistrot, la course reprend. Je marche, je marche. Je rentre dans une boutique tenue par un chinois, je voudrais qu’il me mette dans un carton pour m’envoyer à l’Ile Maurice, j’échoue enfin dans un lavomatic, là je cherche à mettre ma conscience au plus profond de moi pour qu’on me cache dans une machine à laver afin de m’expédier dans l’île, loin des barbouzes de Bolloré.

Je m’évanouis et me réveille dans un fourgon des pompiers. Je sombre à nouveau, des piqûres sans doute… Je me réveille dans une petite chambre toute blanche, là, je vois ma mère. Je suis si heureuse de la voir.

Puis je sombre à nouveau. Des bribes de conscience, un hôpital, des médecins, du flou, si flou. Me lever. Chasser ces souvenirs, durs, si durs. Quelle peur j’ai eu.

Vivre avec ces souvenirs, pour le moment je suis en sécurité chez ma mère, je me laisse vivre. Mais il va me falloir rentrer à Brest, retrouver ma solitude…

«  Je ne sais ce qui me possède

et me pousse à dire à voix haute

Ni pour la pitié ni pour l’aide

Ce qui m’habite et qui m’obsède »

Louis Aragon

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