Les étoiles de la mémoire

J’adore les cartes et la carte du Sénégal me ravit particulièrement. Ce pays coupé par la Gambie et tout entier dirigé vers la presqu’île du Cap Vert où se situe la capitale, Dakar, est profondément inscrit au fond de ma mémoire. Je me revois à l ‘école de Yoff Aéroport en train de dessiner et de colorier les cartes du relief, de l’agriculture et de la population, je prenais un plaisir intense à colorier le fleuve, à situer Podor ou Matam, le grenier à mil du Sénégal. Au cours d’histoire, je rêvais des exploits des explorateurs, je m’imaginais arrivant en chaise à porteurs dans un lointain village de brousse. Je m’amusais _ et je m’amuse toujours _ de l’anecdote qui met en scène deux explorateurs anglais Stanley et Livingstone. Imaginez-les au fin fond de la jungle, seuls hommes blancs à des milliers de kilomètres à la ronde. Par miracle, ils se rencontrent et Stanley dit à son collègue : «  Livingstone I suppose … «  Cela me paraît le summum de l’humour anglais !

Plus tard, au lycée Van Vollenhoven, le grand lycée qui fut celui de toute l’Afrique Occidentale Française, nous étudiions les grands empires, ceux du Mali, du Ghana et je vibrais aux exploits de Samory contre les blancs. Avec les indépendances, nous avions des livres faits pour nous et c’était très intéressant car nous avions une vision plus large que la simple histoire française, nous étudiions en détail le trafic triangulaire et l’esclavage. Nous dessinions des crânes de zébus, nous apprenions les maladies tropicales, nous chantions l’hymne du Sénégal, «  Le lion rouge a rugi », paroles de notre président poète Léopold Sédar Senghor. Nous honorions notre drapeau, ses trois couleurs vert, jaune et rouge avec une étoile jaune, c’était notre drapeau, on était chez nous ! Nous passions avec orgueil devant le palais du Président, c’était notre Président et nous admirions ses grues cendrées. Je l’ai vu une fois le Président, il est passé devant nous avec la reine d’Angleterre et ils nous ont salué, la reine a dû nous prendre pour des anglais …

Nous crapahutions en brousse tous les week-ends, on le connaissait, notre Sénégal ! On avait une Ariane, une espèce de grosse automobile à l’allure très grand siècle, on explorait la brousse, je regrettais d’être blanche, comment passer inaperçus avec une telle couleur ! On retrouvait des collègues de mon père qui quadrillaient la brousse pour faire de la vulgarisation agricole. Ils y croyaient, à leur mission, il soufflait alors un grand vent de liberté dans ce pays que l’on voulait développer. Le summum de ce grand souffle d’espoir fut le Festival des Arts Nègres. Mes parents étaient très amis avec un cinéaste togolais qui avait créé les Actualités Sénégalaises, Paulin Soumanou Vyera et nous assistions à presque toutes les représentations, nous sommes allés voir le Musée Dynamique, les danses de tous les pays dans le grand stade de Dakar, nous allions au théâtre, j’étais fascinée par la rétrospective de l’histoire de Gorée qui fut donnée en lumières sur les façades des maisons de l’île. Comme c’était beau ! Pour l’occasion, le France est venu à Dakar, la société de mon père avait un Requin, un beau yacht qui nous permit de faire le tour du paquebot. C’était magnifique dans l’écrin de la rade de Dakar.

Quand nous avons quitté le Sénégal, ce fut un véritable déchirement : comment quitter mon pays, mes amis, le lion rouge a rugi, mon drapeau et mon Président ? Les plages, la brousse, les paysans si gentils, tout cet environnement qui m’environnait ? On m’arrachait le cœur. J’étais si triste de partir que je me suis tuée, j’ai décidé de toujours parler pour me cacher derrière un flot de paroles, de me cacher au plus profond de mon cœur. Je n’ai rouvert mon cœur qu’à quarante cinq ans, pour pouvoir écrire…

Aujourd’hui, j’aimerais tellement revenir au Sénégal mais tous me disent qu’il ne faut pas. Etre français là-bas n’est pas bien reçu, la Françafrique a fait des ravages… Je me tais, je souffre, qu’est devenu mon pays, mon drapeau, le lion rouge a rugi ? Aujourd’hui on me traite de néo-colonialiste, on me dit qu’on a exploité l’Afrique et l’on nous confond avec les esclavagistes. Il n’y a qu’avec des amis de cette époque, qui savent, que j’en parle. L’Afrique a tissé des liens solides qui font que je suis à Bréhat chez des amis de Dakar.

«  Je t’ai dit : – Ecoute le silence sous les colères flamboyantes, la voix de l’Afrique planant au dessus de la rage des canons longs, la voix de ton cœur de ton sang, écoute la sous le délire de ta tête de tes cris. » Léopold Sédar Senghor

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