Le bonheur est dans le pré

Revenons à Dakar. Ce qui fut extraordinaire ce fut l’arrivée dans la rade sur le paquebot Le Foucault des Chargeurs Réunis, le bateau majestueux devant Gorée, l’arrivée au port sous le soleil, les hangars et tous ceux qui nous attendaient. Ce fut mon premier contact avec le Sénégal.

Nous avions embarqué à Bordeaux, le paquebot était plein d’enfants de tous ces coopérants qui allaient faire oublier le passé colonial de la France et aider le pays à se développer. Tous jeunes, plein d’idéal même si certains n’étaient attirés que par de bons salaires. Nos parents y croyaient, eux, à l’avenir du Sénégal et nous partions pour une belle aventure.

Aventure qui se prolongea. Nous étions dans une petite école près de l’aéroport de Yoff, où j’avais comme maîtresse Madame Campistrous ( sic ). Elle portait avec assurance son drôle de nom et se dévouait pour ses élèves. Nous avions par exemple un petit jardin où nous faisions pousser des arachides, du manioc ou du sorgho que nous arrosions dévotement, je me souviens comme la terre était sèche et craquelée. Je me rappelle ces après-midis du samedi où nous brodions nos œuvres, moi j’avais dessiné des épis de blés et je rêvais doucement à la France sous la varangue fleurie de bougainvillés. Nous préparions avec acharnement le certificat d’études, diplôme très important pour beaucoup d’élèves qui n’allaient pas aller plus avant. Comme c’était leur dernière année d’études, nous étudions comment allaiter un bébé, comment disposer un petit lit sous le manguier pour que le bébé soit à l’abri des bêtes. Il y avait plusieurs chapitres sur les maladies tropicales et j’étais terrifiée à la pensée d’avoir la lèpre, j’avais une tache rose insensible me semblait-il, j’avais beau me piquer avec une épingle, je ne sentais rien. Il faut dire qu’à Dakar il y avait plein de lépreux qui mendiaient, tendant leurs mains atrophiées vers nous. Comme j’étais plus petite, j’étais à la hauteur de ces enfants qui n’avaient plus de jambes et se déplaçaient dans des petites charrettes.

Il y avait aussi autre chose qui m’intriguait : c’était ces bagnards en uniforme bleu qui cassaient des cailloux et se déplaçaient avec peine, attachés qu’ils étaient à un boulet. Il y avait des blancs et des noirs, je crois. Je les plaignais beaucoup d’être ainsi en plein soleil.

Cela, c’était notre premier séjour à Dakar. Nous habitions une villa au Virage . Il y avait la route, la dune et la mer. Nous en sentions l’iode et nous traversions sans problème la route, il y avait peu d’autos à cette époque là. La dune était immense, nous y creusions des trous, nous y avions trouvé le crâne d’un zébu. Une fois, des milliers de sardines étaient venues s’échouer et les femmes de Yoff et de N’Gor en emplissaient leurs paniers.

Nous allions à l’école à pied et traversions un territoire de brousse où nous apercevions des chacals. Une fois, une de mes sœurs avait été attaquée par un charognard. On avait pensé qu’ils avaient été attirés par ses cheveux blonds.

Il y avait un grand virage où se trouvait un restaurant. Un jour, en rentrant de l’école, nous avons trouvé un gros chien qui semblait nous attendre. Nous avons eu peur, tout d’abord mais maman nous a rassurés et il est devenu notre grand copain. Quand nous allions nous baigner, il nous accompagnait, nous avions trouvé une petite crique idéale. Il se postait à l’entrée de la crique et quand on dépassait une certaine limite, il poussait un gros soupir et se mettait à l’eau : c’était un St Bernard et il faisait son boulot de Saint Bernard, nous n’aurions pas été étonnés qu’il porte un petit tonneau à son cou et qu’on puisse y boire du rhum !

Un jour, on nous a annoncé qu’il y avait une épidémie de fièvre jaune. C’était ennuyeux car une de mes sœurs avait de l’asthme et ne pouvait être vaccinée. Les autorités n’y sont pas allées de main morte : des avions déversaient du DDT, on voyait de grandes nappes au dessus de la petite colline et tous nos oiseaux enfermés dans une belle cage sont morts…

A la fin de l’année, j’ai passé le certificat d’études et je l’ai réussi ! Notre institutrice avait loué un petit car et nous avait tous amenés à Ouakam où avait lieu l’examen. J’ai eu une faute à ma dictée car le sénégalais qui la lisait avait un fort accent et l’on n’avait pas su si c’était le creux ou le cœur de la brousse…

«  Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite.

Le bonheur est dans le pré, cours-y vite, il va filer. «  Paul Fort

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