La vraie vie

«  J’ai touché le fond de la piscine

Dans le petit pull marine

Tout déchiré aux coudes

Que j’ai pas voulu recoudre

Que tu m’avais donné

J’me sens tellement abandonnée . « 

Cette chanson d’Isabelle Adjani, je la chantais sans cesse pendant notre séjour à Chamonix, dans cette grande maison austère qui ne recevait jamais le soleil, coincée qu’elle était dans une étroite vallée. J’étais pourtant heureuse… mais non, chaque fois que j’essayais d’écrire, je ne pouvais dire qu’une chose : je ne me sens pas bien… J’étais une enfant gâtée : mariée à mon cousin, nous avions de l’argent, nous nous aimions, enfin ce me semblait… Cela ne m’empêchait pas d’être attirée par d’autres hommes mais je ne voulais pas le tromper, je restais fidèle à la parole donnée.

Je me suis mariée jeune, une bonne chose de faite. Comme cela ce ne serait pas moi qui resterait vieille fille. A chaque génération, dans la famille de ma mère, il y avait une femme qui restait célibataire. Nous étions élevées dans l’idée de trouver un bon mari et d’avoir des enfants. Mon père disait avec satisfaction qu’il n’avait pas failli à sa mission, que ses fils avaient un bon boulot et que ses filles étaient mariées. Aussi quand je me suis enfuie de chez mon mari _ j’avais l’impression qu’il ne me restait de vivant que mes pieds, les pieds c’est fait pour partir_ j’ai été mise au banc de la famille. Pour tous, c’était inconcevable que j’abandonne mes enfants. Je ne les ai pas abandonnés : ils ont choisi de rester à Arcachon, dans leur maison, avec leurs copains.

Quand j’ai quitté la maison avec mon fils aîné, en arrivant à Bordeaux, je lui ai dit : on arrive dans la vraie vie. C’était en 2000, l’année où tout a sauté. Le train de Brest passait dans le silence au milieu des forêts dévastées… Arrivés à Brest, j’ai retrouvé un ami qui nous a hébergés. Nous sommes allés ensuite chez mes parents près de Brest où m’est arrivée une chose très curieuse : j’étais dans le jardin, je regardais l’herbe, quand tout à coup toute ma vie d’Arcachon est passée au passé, c’était fini. A l’idée de rentrer, je n’avais plus de pieds. Une réaction de rejet intense. Il a fallu faire avec et affronter toute la famille.

Divorcer, c’est très dur. Ce n’est pas une chose à faire à la légère. Etre mariée, c’est un statut, une place dans la société. Au delà de l’aspect matériel, qui est important, il y a le regard de la société. Etre mariée, pour moi, c’était la sécurité. Il travaillait et moi je créais. J’ai monté une société, j’ai gagné de l’argent mais je n’étais pas responsable des rentrées quotidiennes. Lui si. Il travaillait à son compte, les revenus n’étaient pas réguliers mais cela allait : nous avions une maison, deux voitures et un bateau. La belle vie, mais qui justement ne me satisfaisait pas : une enfant gâtée. Je savais depuis toujours qu’il fallait que je le quitte pour vraiment vivre.

Et je vis. C’est dur, je m’assume. Je n’ai presque pas travaillé _ j’ai une phobie du travail, l’idée de revenir tous les jours au même endroit faire la même chose m’est insupportable _ et je ne trouve que des boulots temporaires qui me vont bien. Je suis instable et c’est ma stabilité.

Donc me voici seule, sans le sou. J’ai dû me résoudre à aller demander le RMI, l’ancien RSA, à une assistance sociale. Je me suis rarement sentie aussi humiliée. Ces gens là ont une façon de te traiter en cas social qui est étonnante. Et me voici seule à Brest, dans un studio. Seule comme je ne l’avais jamais été. Mise au banc de la société et de la Famille.

Je me souviens, j’étais au port, à Brest, et je regardais la mer. Je pensais : mes enfants font leur rentrée en classe, mais qui va recouvrir leurs livres ? J’adorais ces moments où nous posions les nouveaux livres sur la table, le plaisir de la rentrée, du nouveau, l’arrivée de l’automne. Et, comme dans la chanson , j’avais envie de me foutre à l’eau.

J’ai découvert la vraie vie, le manque de sécurité. J’avais tout perdu, mes enfants, mes amis auxquels je tenais tant, ma vie.

Je pense que c’est à la base de mes délires, où tout prend sens, où tout tourne autour de toi, où il n’y a pas de hasard. La folie comme un moyen de supporter l’insupportable.

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