L’âme de Brest

J’habite Recouvrance, Recouvrance et son pont qui coupe la ville en deux. C’est un quartier populaire qui a du mal à retrouver une vie après avoir été le grand lieu des festivités brestoises. Du temps de la conscription, les matelots en goguette fêtaient leur permission dans ces rues étroites où se pressaient les cabarets. Il fallait les voir, tous ces pompons rouges qui tanguaient en fin de nuit…

J’ai participé à ces fêtes avec mon futur mari qui faisait son service à Brest. Il était moniteur de voile au club des Equipages, le club privé de la marine qui est devenu depuis le port du Château. Comme ses parents habitaient Bruxelles, il avait une voiture immatriculée en Belgique et il fallait voir l’ahurissement des brestois devant ce matelot conduisant une voiture étrangère. Parfois, il avait un mal fou à rentrer à l’Arsenal, le vigile le prenant pour un espion…

Il avait loué une petite chambre dans les hauteurs de Recouvrance et l’on y passait des jours à se témoigner de notre amour, tout en nous gavant de riz au lait en boite… Le propriétaire bricolait dans son garage et nous regardait d’un air entendu.

J’étais en terminale au lycée de l’Harteloire puis en Lettres Sup, au lycée de Kérichen et je jouissais du fossé qui séparait mes deux existences.

Aujourd’hui, il ne reste plus rien de cette animation et le quartier se meurt. La rue de la Porte aligne ses boutiques fermées et ses restaurants-boites de nuit aux portes closes. C’est cependant un quartier sympathique.

Le pont de Recouvrance avec ses deux poternes de béton est devenu un des symboles de Brest. Il se lève rituellement pour laisser passer les lambeaux de la flotte nationale ou de nouveaux bâtiments à l’air sournois des machines de guerre.

Plus de pompons rouges dans les rues, plus ces jeunes gens venus de toute la France, Brest a su se reconstruire. Il y a encore l’argent des sous-marins nucléaires, cette arme de destruction massive postée à l’entrée de la rade. Tous les jours, des navires d’acier traversent pour emmener le personnel en charge de ces engins. Très bien payés, les gens de la marine, beaucoup moins typiques, font vivre Brest.

Brest. Je suis contente d’y vivre, aujourd’hui. J’ai détesté y habiter, un an, en revenant d’Afrique. J’allais au lycée en bus et ces rues froides et grises me semblaient le comble du malheur. Ces églises semblaient rythmer un univers de béton.

Par un concours de circonstances, je me suis retrouvée en l’an 2000 seule à Brest, sans argent et sans voiture. J’ai alors arpenté les rues et j’ai appris à mieux connaître la ville. J’habitais alors St Martin, les hauteurs de Brest où tout n’a pas été détruit. La pauvreté du quartier, très populaire, ses âmes errantes et avinées, convenaient bien à ma situation.

Brest. Combien j’ en ai rêvé à Dakar, quand j’écoutais Cora Vaucaire chanter Barbara, il pleut sans cesse sur Brest. J’attendais la pluie des mangues avec tant d’impatience et le retour en Bretagne.

J’ai pris le tramway

Arpenté les rues

Il n’y avait âme qui vive

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