« La famille, ça fait partie des p’tits soucis quotidiens ! «  Sheila

En famille, j’ai un problème de place. Je suis l’aînée mais je ne me conduis pas en grande sœur raisonnable, prenant en charge ses quatre frères et sœurs, jouant la seconde maman. Très tôt, je me suis dit : Maman, tu as plein d’enfants, ce n’est pas mon problème ! Et je disparaissais. Qu’est ce que j’aimais disparaître ! Je me cachais dans les arbres, dans les greniers, dans les rochers et je lisais. Je vivais en lisant Alexandre Dumas et Jules Verne. A moi la vraie vie !

A table, je n’étais pas là : je pensais à mon livre, n’attendant qu’une chose, repartir me cacher. Comme mon père me poursuivait pour m’empêcher de lire, je me blottissais sous mon lit et je lisais à la lampe électrique. A Arcachon, je continuais à lire. Je lisais à côté des enfants, je lisais le soir dans mon lit pendant que mon mari regardait la télé. Je lisais en français, je lisais en anglais.

La famille : ma grand-mère disait avec humour que j’ai une vocation d’enfant unique et me retrouver l’aînée de 5 enfants en 5 ans fut le plus sale tour qu’ait pu me jouer mes parents !

Je commence à aller mal quand je fais une fixation sur la famille, quand je me sens poursuivie par eux, dénigrée, mal aimée. Ils me bouffent l’espace, ils me prennent tout. Je souffre avec eux et pourtant j’ai besoin d’eux. C’est assez paradoxal, je les aime mais ils me dérangent. Je ne suis pas reconnue à ma juste valeur, ils me déçoivent. Loin d’eux, je les imagine, dans la réalité je suis déçue. Un univers mesquin .

C’est une souffrance, une écharde au cœur.

La famille : il y a du monde, les oncles, les tantes, les cousins, les neveux et nièces, je les appelais « La smala d’Abd El Kader « . Toujours des choses à faire, aller les voir, ne pas dire du mal, les aider, faire allégeance. Comme je n’aime pas quand ma mère, de sa petite voix un peu plaintive, nous ordonne d’aller voir untel ou une telle, de leur téléphoner. A plus de soixante ans, elle nous dirige comme des enfants. Cela me donne envie de mordre.

Je suis bien ici, à Bréhat, dans cet univers que je me suis constitué, loin de la Famille ! C’est mon univers à moi, ma création à moi. Marie et moi y étions bien, loin d’eux tous. Comme j’aurais aimé garder la chaumière, j’avais toutes sortes d’idées pour l’arranger mais la Famille en a décidé autrement. Exécution.

Quand je suis folle, je ne supporte pas la Famille. Et même là, à écrire ce texte, j’ai mal. Avec eux, les bras m’en tombent. Je ne fais rien, je ne suis bonne à rien. Quand je vois mes deux sœurs et ma mère, si actives, je me sens bête, diminuée, inutile et elles m’énervent, ces femmes parfaites.

Moi, on me critique, on me donne des conseils, on se moque de moi. J’ai l’impression d’être le vilain petit canard.

Quand j’ai dit à une de mes sœurs que je voulais écrire sur ma folie, elle s’est écriée : Comme tu as fait du mal à la famille ! Mon mal à moi, ce n’est pas important, c’est la famille qui compte et si je m’en suis sortie, c’est grâce à la Famille, sans elle, je ne suis rien.

Quand j’étais petite, mon père se réjouissait et disait : c’est bien, on est tous les sept ! Et moi je me disais : pourvu qu’il vienne quelqu’un ! Ma mère m’a à l’oeil, elle me surveille étroitement pour que je ne fasse pas de mal à la Famille .

Ma mère : quelle femme forte. Je l’observe, je la juge et elle le sait. Elle est bien avec moi mais avec toujours une petite inquiétude : mais que va encore inventer Toinon ? Elle se méfie.

La Famille. Je viens de prendre conscience du rôle de Bréhat dans ma vie. Mon lieu à moi, mes amis à moi, mon espace à moi. Et quelle joie haineuse ils ont eue quand ils ont refusé de garder quoi que ce soit à Bréhat, quelle satisfaction de tout avoir vendu. Que ce soit mon univers ne les a pas dérangés, au contraire.

Mes enfants et Henri, c’est ma famille, celle que j’ai construite, qui m’appartient. Pas touche !

« Il vous naît un poisson qui se met à tourner

Tout de suite au plus fort d’une lame profonde,

Il vous naît une étoile au dessus de la tête,

Elle voudrait chanter mais ne peut faire mieux

Que ses sœurs de la nuit les étoiles muettes. «  Jules Supervielle

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