« Honneur aux valeurs sauvages ! «  Dubuffet

«  Voyager n’est pas guérir son âme «  écrit, dans la lettre XXVIII Sénèque le Jeune à Lucillus.

J’ai fait beaucoup de latin pour éviter les maths et j’ai retenu cette phrase qui m’a semblé étonnante, pour moi, d’une famille de grands voyageurs où le meilleur remède à tous les maux est de changer d’air ! Je me disais toujours : un jour je m’arrêterai de voyager, au propre et au figuré, soit en changeant de lieu soit en lisant tout le temps, je m’arrêterai de fuir et je soignerai mon âme.

A 45 ans, en l’an 2000, je n’arrivais pas à écrire, je ne me sentais pas à ma place à Arcachon, j’ai décidé d’arrêter le tourbillon et de me retourner vers ce que je fuyais.

45 ans à fuir, 45 ans de refus de me voir, c’est long. J’en ai pris pour mon grade. J’ai fui cette vie de famille qui ne me convenait pas, je suis allée à Brest, aux origines. Et là, dans la vraie vie, rien ne s’est passé comme je le voulais. Je suis tombée malade, bi-polaire ont diagnostiqué les médecins. J’ai déliré, beaucoup mais dans les intervalles, je me suis mise à écrire. J’ai pu écrire. J’ai réalisé mon rêve.

Dans la famille, tout le monde lit, en particulier les femmes. J’ai compris que dans cette famille des femmes du silence où l’on ne parle pas de soi, elles communiquent par livres interposés.

J’ai pu retrouver du travail et j’ai exercé en tant que professeur de français langue étrangère. Une de mes premières élèves, une artiste peintre galloise, m’a fait un stage de créativité et m’a laissé un livre : «  The Artist Way » de Julia Cameron, où comment devenir artiste en douze leçons. Le fait que ce soit en anglais est important car m’a dit Cat, c’est ma langue secrète, ma langue personnelle. Je ne lis pas la même chose en français et en anglais, l’anglais m’attrape au plus profond.

Donc, dans cette méthode, tu dois signer un engagement comme quoi, aussi difficile que cela soit, tu dois aller jusqu’au bout de l’exercice. Il y eut une semaine où l’on ne devait pas lire car comme écrivait Julia, lire t’anesthésie. J’ai connu un véritable arrachement, qu’allais-je devenir en n’ayant plus la possibilité de m’échapper de la réalité en lisant ? Je me rappelle, petite fille puis adolescente, je vivais sur deux mondes parallèles, le monde des livres et la réalité qui me blessait, jamais assez belle ni assez conforme à mes attentes. Mon père m’avait dit un jour : tu vois, ce livre, il est là, tu le poses il t’attend, la vie, elle, ne t’attend pas. Alors vis ! J’ai écouté son conseil et je n’étais plus aussi passionnée, mais je lisais beaucoup cependant. Quand par hasard je n’avais pas de livre, je me précipitais dans n’importe quel point presse pour acheter un livre.

C’est pour cela que je suis assez réticente à condamner un élève qui ne lit pas. Il n’en a peut-être pas besoin, sa vie, dans laquelle il est bien, lui suffit. Laissons le tranquille.

Entendons nous bien : je ne condamne pas la lecture, mais je condamne trop de lecture qui t’isole du monde. Cependant ma psychiatre m’a dit que ce qui m’avait sauvé c’était la lecture. J’avais lu Freud, Jung, j’avais étudié « la passion des âmes » dans mes études littéraires. Je mettais à profit ce que je lisais et c’est pour cela que je n’ai jamais fait d’analyse. J’avais lu que pour Rainer Maria Rilke, soit on écrivait soit on faisait une analyse. J’ai choisi, je voulais écrire.

Donc j’ai arrêté de voyager, je n’en avais plus les moyens de toutes façons. Et je me suis mise à marcher dans Brest, à explorer cette ville et ce port. J’en ai fait le cadre des aventures de mes héros. J’ai changé. Avant que tout ait « sauté », avant d’être devenue folle, je parlais tout le temps de tout et de rien, je ne supportais pas le silence. J’avais l’impression d’allumer la radio et derrière cette radio qui discourait avec autorité sur tous les sujets, il n’y avait rien, le vide. Personne. Je ne pouvais pas écrire, je n’avais rien à dire de vraiment personnel.

Ce livre américain que j’ai suivi avec attention m’a aidée à devenir moi-même, à arrêter la radio. Je lis toujours, comme un enrichissement. Je ne lis presque plus de romans, ils me semblent tous taillés sur le même modèle. Je lis des livres de géopolitique, des biographies, des beaux textes. Je deviens beaucoup plus difficile dans mes choix et je ne m’acharne plus à terminer un livre qui m’ennuie. Je peux rester des heures à ne rien faire, en contemplation. Je ne voyage presque plus, plus de la même façon. J’ai l’impression d’avoir guéri mon âme.

« Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,

Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires «  Charles Baudelaire

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